mardi 8 décembre 2015

Envoyer un manuscrit à un éditeur, ou comment ne pas se retrouver bêtement en-dessous de la pile

Il y a quelques jours, alors que je discutais avec une directrice de collection de chez Albin Michel jeunesse, le sujet des manuscrits envoyés par la poste (autrement dit, de la part d'auteurs non publiés) est venu  dans la conversation.

Elle m'a confirmé ce que je savais déjà, à savoir que des dizaines de manuscrits sont reçus tous les jours (je soupçonne que c'est encore pire pour les éditeurs de plus en plus nombreux qui acceptent les manuscrits par email) et qu'un nombre infime d'entre eux sont retenus.

J'ai en revanche été étonnée d'apprendre que le délai de réponse d'un éditeur tournait aujourd'hui autour d'un an, alors qu'il était encore de 3-4 mois quand j'ai envoyé mon premier manuscrit, il y a de cela près de dix ans. Je trouvais déjà ça long à l'époque. Preuve que de plus en plus de gens sautent le pas et soumettent leurs œuvres à des professionnels.

J'ai été plus étonnée encore d'apprendre ce qui envoyait un certain nombre de manuscrits au tapis avant même leur lecture : la lettre de présentation qui accompagne le texte. J'ai moi-même remarqué depuis l'apparition des réseaux sociaux, qui permettent un contact plus direct avec les auteurs, un certain relâchement dans la façon qu'ont les lecteurs de s'adresser à nous. Je reçois un certain nombre de mails de la part de lecteur inconnus qui me tutoient et s'adressent à moi comme si nous étions camarades de classe. Je l'avoue, je n'aime pas beaucoup ça.
Autant vous dire que les éditeurs, eux, n'aiment vraiment pas ça.

Envoyer un manuscrit à un éditeur, c'est comme postuler à un emploi. L'éditeur auquel vous vous adressez reçoit des "candidatures" telles que la vôtre à longueur de journée, dont un grand nombre de la part d'auteurs confirmés qui passeront certainement avant vous. Les délais de réponse sont très longs et c'est extrêmement pénible pour l'auteur. Mais demander à l'éditeur de répondre rapidement parce que vous avez envoyé le texte à d'autres éditeurs, "menacer" d'envoyer le manuscrit ailleurs, ou donner un délai (type "répondez-moi sous trois semaines parce que je pars en vacances le mois prochain" - j'ai été sidérée d'apprendre que ce type d'exigences accompagnait de très nombreux manuscrits) est le plus sûr moyen de vous envoyer tout au fond de la pile. Autant vous dire qu'il faut un très très bon manuscrit pour se relever d'une lettre de présentation prétentieuse (et vous n'aurez pas votre réponse avant un an, on me l'a assuré).

Concernant cette fameuse lettre, je vous conseille fortement de la faire courte et simple : les éditeurs ont déjà bien assez à lire comme ça.

-  Expliquez que vous écrivez depuis un certain nombre d'années et que le manuscrit que vous présentez vous paraît enfin assez abouti pour vous lancer.

-  Donnez le genre et une vague tranche d'âge s'il s'agit de littérature jeunesse pour que l'éditeur puisse vous situer (chez moi, ça ressemble généralement à "Il s'agit d'un roman de genre fantastique destiné à un public de grands adolescents").

- S'il s'agit d'une série, dites-le et donnez une estimation du nombre de tomes prévus. Essayez d'éviter d'en annoncer 25, ça a des chances d'effrayer votre éditeur potentiel. Si les tomes peuvent être lus de façon indépendante, il est également bon de l'en informer.

- Ajoutez quelques lignes sur votre sujet sans faire un résumé complet, juste le thème général. Vous pouvez préciser en indiquant un ou deux auteurs dont le travail vous paraît proche du vôtre. Mon genre de prédilection, le fantastique, étant assez large, j'emploie personnellement l'échelle "fantastique Anne Rice", "fantastique Stephen King", "fantastique Buffy contre les vampires"...

- Je crois savoir que les petites maisons d'édition demandent parfois un synopsis à part. Dans ce cas, raison de plus pour ne pas se répéter. De surcroît, Flannery O'Connor a bien raison quand elle dit qu'une histoire qu'on peut résumer est une mauvaise histoire.
 
- Un mot indiquant que vous êtes conscient que l'éditeur auquel vous vous adressez a déjà des centaines d'autres textes à lire et que vous le remerciez du temps qu'il voudra bien passer sur le vôtre n'est à mon sens pas superflu. Un éditeur, ce sont avant tout des gens qui emportent votre manuscrit dans le métro et chez eux en week-end pour le lire.

Si votre texte a du potentiel et que votre lettre n'est pas infecte, vous avez une chance d'obtenir, sinon une publication, du moins une lettre personnalisée qui vous expliquera les faiblesses de votre manuscrit et vous aidera à progresser. Quand on débute (et même plus tard), obtenir l'avis de professionnels n'est jamais inutile.

Il est évident qu'à ce stade, joindre un RIB, des exigences contractuelles ou des explications sur la façon dont vous voulez que votre livre soit mis en avant lors de sa parution est une très mauvaise idée...